Le fibrome, le corps et l’éveil d’un médecin malade
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| Hossegor – Là où une fin a ouvert un commencement. Regarder. Écouter. Questionner. Et parfois… réaliser. |
Ce que ma maladie m’a révélé — à moi, médecin, sur l’écoute, la responsabilité, et la médecine attentive
Je suis médecin.
Et comme tant d’autres médecins, j’ai été malade.
Ce simple fait devrait pourtant nous interpeller : comment une médecine si efficace pour supprimer les symptômes peut-elle rester si silencieuse sur ce qui les fait naître ?
Mais pendant longtemps, je ne l’ai pas conscientisé.
Je ne voyais que des symptômes, des chiffres, des pertes sanguines à camoufler, des taux d’hémoglobine à corriger.
Je voyais un problème à résoudre.
Je ne voyais pas moi.
1. La délégation : quand on remet son corps aux mains des autres
Les symptômes étaient là : les règles hémorragiques, l’épuisement, cette masse dure dans le bas-ventre…
Mais je les ai longtemps tus, ou minimisés.
Et ce silence, je l’ai compensé en déléguant à la médecine conventionnelle ce que je n’arrivais pas à entendre moi-même.
On m’a proposé des solutions,
chacune correspondant à une action, une réponse rapide, un protocole :
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Une chirurgie pour retirer le fibrome ;
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Des médicaments pour contrôler les saignements ;
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Du fer ou des transfusions pour traiter l’anémie.
Toutes ces options — chirurgie, traitement hormonal, transfusions — avaient une efficacité certaine, mais elles posaient d’autres problèmes.
Trop de risques, trop d’effets secondaires, trop de contraintes.
Et surtout : elles traitaient les conséquences, pas les causes.
Un été, à Hossegor, mes symptômes ont miraculeusement disparu.
C’était comme une parenthèse. Un souffle. Une guérison.
J’allais mieux, oui. Presque miraculeusement.
Mais ce n’était pas ma vie.
Ce n’était qu’un interlude. Une vacance.
Je suis retournée à ma vie… à ma négligence.
Car en revenant à ma routine — à ma vie “normale” —
les symptômes sont revenus.
Plus intenses. Plus violents.
Et c’est dans cette négligence devenue chronique que j’ai failli mourir.
2. L’épreuve : une infection, une mort frôlée, et une guérison
À l’hôpital, en septicémie, mon corps s’effondrait.
Et dans cette extrême fragilité, quelque chose s’est ouvert.
Mon fils était là.
Présent, au cœur de cette nuit où tout semblait basculer — cette nuit que certains appelleraient une expérience de mort imminente.
C’est dans cet abandon total, ce surrendering, que quelque chose en moi a cédé.
Et il était encore là, le lendemain — cette fois, en chair et en os.
Là, quand j’ai ouvert les yeux. Là, au moment même où la vie revenait.
Et une gynécologue — la seule de tout mon parcours à m’avoir regardée avec douceur — l’était aussi.
Dans cette simple présence, quelque chose d’indescriptible s’est produit.
Un amour.
Une reconnaissance.
Un miracle.
Le lendemain, j’allais mieux.
Et j’ai su : cette maladie ne me parlait pas seulement de mon corps.
Elle me parlait de ma vie.
3. L’éveil : commencer à écouter ce qui en moi criait depuis toujours
Je n’ai plus voulu déléguer.
Je ne voulais plus qu’on me dise quoi faire de mon corps sans me demander qui je suis.
Alors j’ai commencé à écouter.
Et cette écoute m’a bouleversée.
Cette fatigue immense, cette sensation d’être vidée…
Ce n’était pas une simple conséquence de l’anémie.
C’était une résistance.
Une lutte contre ma propre vie.
Et ce fibrome — cette masse dure, massive, pesante —
je ne le voyais plus comme un défaut à corriger,
mais comme un symbole.
4. Le sens : un caillou, une peur, un effacement
Qu’était-ce que ce fibrome ?
Un caillou dans mon ventre. Une masse dure. Une gestation sans naissance.
Et moi, j’étais comme enceinte… d’un poids.
Ce poids, c’était peut-être :
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La peur d’une grossesse que je porterais seule, comme ma première, avant que je ne la porte plus ;
La déception de n’avoir pas été accompagnée dans la maternité ;
La conviction que, pour être une “bonne” mère, je devais me « sacrifier ». Une croyance subtilement transmise par une éducation où l’« amour » prenait souvent la forme du renoncement, du devoir, du sacrifice silencieux.
Ou peut-être était-ce plus intime encore : ma dureté. Mon armure. Ma déception. Ma méfiance. Ma souffrance.
Je n’ai pas de certitude.
Mais j’ai commencé à me poser des questions.
Et cette simple démarche — questionner plutôt que contrôler —
a transformé mon rapport à la maladie.
5. La transformation : aimer, sans s’effacer
Je venais d’un modèle éducatif autoritaire, peu accueillant, mais qui ne se revendiquait pas comme tel.
Au contraire, la dissonance cognitive — dire une chose, en faire une autre, tout en insistant sur la vérité apparente des mots employés — y était la norme tacite.
Je l’avais reproduit : contre moi-même.
J’avais appris à aimer en m’oubliant.
À me donner sans me garder.
À croire que la tendresse, la douceur, ne m’étaient pas destinées.
Mais le corps ne ment pas.
Et le mien s’est mis à parler — fort.
Pour que je m’écoute enfin.
🟡 Et c’est après cette septicémie, après avoir vu que mon système immunitaire n’était même plus capable de me défendre, que j’ai compris :
rien ne pouvait rester comme avant.
Si ma vie m’avait menée à un point où elle menaçait ma vie elle-même, alors il fallait tout changer.
Et j’ai changé.
🟡 J’ai quitté la ville.
Je suis allée vivre en bord de mer.
Et j’ai tout revu, surtout mes relations.
Je n’étais plus attachée à maintenir des liens.
Ce qui comptait désormais, c’était la qualité de la relation, pas sa durée ou sa forme.
Et c’est ainsi, je crois, que j’ai vraiment commencé à guérir.
6. Médecine attentive : une réponse née d’un corps qu’on entend
C’est dans cette écoute — patiente, profonde, bouleversante — qu’est née pour moi la médecine attentive.
Pas une théorie.
Pas une spécialité.
Mais une manière d’être au monde.
Aujourd’hui, j’accompagne autrement.
Je n’essaie plus de faire taire les symptômes.
J’essaie de les entendre.
Je suis médecin.
Et je suis passée par là.
Et peut-être…
Peut-être qu’il fallait ce fibrome,
ce silence massif,
pour que je commence enfin à écouter.
Je partage davantage à ce sujet sur mon site — notamment comment la médecine attentive est née, et pourquoi je crois que la guérison ne peut pas toujours être imposée de l’extérieur.
→ attentivemedicine.org

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