Quand le « comment » nous enferme : médecine attentive et libération du tabac

 

Un homme âgé fumant une cigarette en extérieur, profondément pensif. Cette image reflète la complexité de l’addiction, de l’habitude et du chemin vers la guérison grâce à la médecine attentive et à la conscience de soi.
Photo par Vyoum Kushwaha. Fumer peut être une habitude profondément enracinée, liée aux émotions, à l’identité et à l’histoire. Mon parcours pour arrêter de fumer n’a pas été une lutte contre l’addiction, mais une présence attentive -- écouter profondément le corps et l’esprit.
Cette histoire illustre comment la médecine attentive accueille la guérison au-delà de la contrainte ou de la peur.

 


J’étais fumeuse.
J’ai pris cette habitude à l’école de médecine --un lieu de longues journées, d’intensité et de souffrances silencieuses. Beaucoup d’entre nous fumaient. Personne ne trouvait étrange que ceux qui se formaient pour aider les autres à mieux vivre s’accrochent eux-mêmes à des habitudes nocives qu’ils ne comprenaient pas et qu’ils ne pouvaient pas arrêter.

La médecine conventionnelle n’offrait pas grand-chose.
Des patchs à la nicotine, qui ne remplaçaient jamais ce que je trouvais dans la cigarette. Un médicament qui m’a tenue éveillée trois jours et m’a laissée submergée par des rêves troublants. Et l’hypnose --qui, bien qu’utile pour certains, ne me semblait pas convenir. Je ne voulais pas me manipuler. Je n’essayais pas de forcer un changement.

Je voulais comprendre.

Et c’est là que les choses ont commencé à changer --non pas parce que j’avais trouvé le bon outil, mais parce que j’avais découvert une nouvelle forme d’attention.

La première fois que j’ai fumé une cigarette, j’étais encore enfant. C’était ma tante, seulement sept ans plus âgée que moi, qui me l’avait offerte. Nous passions l’été chez ma grand-mère. Mes parents étaient souvent absents, et la responsabilité de nous garder, mon petit frère et moi, revenait souvent à ma tante --elle-même encore adolescente, piégée dans un rôle qu’elle n’avait pas choisi.

Nous jouions, riant devant le miroir. Elle m’a proposé une cigarette. J’étais captivée par sa beauté, par l’adolescence éclatante qui l’habitait. À cet instant, fumer s’est associé dans mon esprit à devenir --à grandir, être libre, sortir de l’enfance et entrer dans le possible.

Mais la première fois que j’ai choisi moi-même de fumer une cigarette --celle que j’ai allumée de mes propres mains --c’était des années plus tard, vers 17 ou 18 ans. Je venais d’avoir une dispute avec mon grand-père. Je me sentais secouée, triste, seule. Je suis sortie sur la terrasse, j’ai pris une de ses cigarettes, je l’ai allumée et j’ai fumé. Et quelque chose s’est produit : je me sentais seule, sans solitude. Cela m’offrait un moment de respiration consciente --inspirer, expirer --qui apportait avec lui un calme. Plus tard, j’ai remarqué à quel point cela ressemblait aux exercices de respiration que l’on recommande pour l’anxiété --même si, bien sûr, fumer n’est pas une forme de soin de soi. Mais le rythme, la pause, l’intériorité avaient une ressemblance.

À partir de ce moment, fumer est entré et sorti de ma vie. Je pouvais toujours arrêter pendant mes grossesses, l’allaitement ou en m’occupant de très jeunes enfants. Mais tôt ou tard, cela revenait --souvent dans des moments où sentais seule, mais refusais cette émotion.

Ce n’était pas juste une habitude. Cela était lié à un fantasme --être libre, être en dehors des règles, être adulte. Et ce fantasme n’était pas créé dans le vide. J’ai grandi avec la publicité qui associait le tabac au courage, à la séduction, au pouvoir. L’homme Marlboro. Le fumeur sûr de lui et maître de lui-même. Dans mon éducation très genrée, les hommes qui fumaient --mon père, mon grand-père, mes oncles --représentaient tous l’autorité, la sécurité, le contrôle. Les femmes étaient encouragées à étudier, réussir et être indépendantes --mais, sous-jacent, il y avait, selon moi, la croyance implicite que nous avions encore besoin d’un homme pour nous compléter. Fumer est devenu partie de cet imaginaire : un outil de force, un moyen de revendiquer de l’espace.

Mais quelque chose a changé.

J’ai découvert les écrits et conférences de Jiddu Krishnamurti --la seule personne, à ce moment-là, dont les mots résonnaient vraiment avec la réalité que je voyais en moi et autour de moi. Il ne parlait pas seulement de l’addiction. Il parlait de l’habitude. Il remettait en question la possibilité même du changement par l’effort --demander « comment puis-je arrêter ? » fait déjà partie du piège. Car la question du « comment » est une recherche de méthode, de technique, de connaissance --et la connaissance appartient toujours au passé. Mais l’addiction est le passé. C’est le corps mécanique, répétant ce qui a déjà été. Comment le passé pourrait-il guérir quelque chose que lui-même a créé ?

Et cela a ouvert quelque chose en moi.

J’ai aussi trouvé un écho dans The Easy Way to Stop Smoking d’Alan Carr, non pas pour la technique qu’il proposait, mais parce qu’il reconnaissait quelque chose que la plupart des cadres médicaux n’abordaient pas : le rôle central de la peur. Pas seulement la peur des conséquences du tabac, mais la peur de ce qui pourrait se passer sans lui.

Alors j’ai commencé à observer --non pas pour arrêter, mais juste pour voir.

Chaque fois que je ressentais l’envie de fumer, je me demandais ce que je ressentais vraiment. J’ai remarqué que sous le désir, je cachais souvent l’ennui ou la fatigue. J’ai compris qu’une partie de moi voulait quitter une situation mais restait par politesse ou habitude. Je couvrais des parties de moi --le vrai moi --derrière un masque social.

J’ai regardé mes peurs : peur de la maladie, du cancer, du vieillissement de la peau, de la mauvaise haleine, d’être peu attirante, d’être rejetée. Peur de ne jamais arrêter. Peur que le désir ne disparaisse jamais.

Et quelque chose de puissant s’est produit : je me suis abandonnée à ces peurs.

Pas dans le désespoir --mais dans l’honnêteté. Je les ai accueillies. J’ai arrêté de dire : « cela ne doit pas arriver ». J’ai dit : « peut-être que je fumerai toujours. Peut-être que j’aurai un cancer. » Et je me suis assise avec cela. Sans résistance. Sans fuite.

À partir de là, j’ai commencé à observer. Chaque fois que j’allumais une cigarette :

– La température dans ma bouche
– La sécheresse
– Le rythme cardiaque qui s’accélère
– La respiration --inspiration, expiration
– La stimulation brève, le crash

J’observais la différence entre le fantasme et le fait.

Et avec le temps --sans plan fixe, sans stratégie pour arrêter --quelque chose a changé. Le fantasme a perdu son pouvoir. L’habitude a perdu sa prise. Et finalement, fumer s’est éteint.

Ce n’était pas une bataille.
Ce n’était pas une décision.
C’était simplement le résultat d’une attention profonde et soutenue.

Et c’est cela que je veux dire quand je parle de médecine attentive.

Pas une nouvelle technique. Pas un rejet des outils conventionnels. Mais une approche différente --qui ne cherche pas à réparer ou à supprimer, mais à observer. Qui ne cherche pas le contrôle, mais permet la compréhension. Qui commence par la présence et finit… où elle finit.

Cette histoire n’est pas une méthode. C’est juste un exemple --le mien --de ce qui devient possible quand on cesse d’essayer de gagner et qu’on commence simplement à prêter attention.

J’en partage davantage sur mon site --y compris comment la médecine attentive est née, et pourquoi je crois que la guérison ne peut pas toujours être imposée de l’extérieur.
→ attentivemedicine.org


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